La souffrance des soignants en gériatrie est reconnue depuis plus de 20 ans. Mais est-elle convenablement abordée ? Ce phénomène soulève à la fois des questions théoriques, techniques et organisationnelles.
Pression émotionnelle et attaque à la pensée
Les soignants sont trop souvent soumis à une pression excessive, tant il y a de tâches à faire en un minimum de temps. Ils sont à la limite de craquer, voire de rejeter le malade tant cette pression devient une agression contre eux. La plupart du temps, ils s’occupent de malades Alzheimer. Ces derniers, ne faisant pas eux-mêmes de travail de mentalisation, ont un appareil psychique qui réagit comme celui du psychotique : demandes redondantes, angoisse massive, déambulation, cris et troubles du comportement qui sont autant de phénomènes d’« attaque à la pensée ». Ils empêchent les soignants de penser.
Les soignants, soit gardent leurs émotions brutes, emmagasinant des traumatismes qu’ils ne « digèreront » jamais, soit les évacuent, mais en fuyant, seuls ou dans le cadre d’une rotation organisée du personnel.
Ne pouvant entrer en relation, ils restent dans une mise à distance par une communication impersonnelle, en se cramponnant à des tâches à accomplir ou à des procédures obsessionnelles pour ne pas devenir déstabilisés voire « confus ».
Les conditions d’un soutien
Des temps cadrés avec un psychologue
Les soignants en gériatrie n’ont que rarement la possibilité de faire un travail psychique qui puisse les aider à tenir le coup : travail d’expression cathartique par la parole qui met des mots sur les émotions et les ressentis ; travail de mentalisation de type associatif où le soignant associe des constructions psychiques à des situations auxquelles il a été confronté : « Ceci me fait penser à cela ».
Ce travail psychique permet au soignant d’intégrer psychiquement une émotion, un vécu qu’il peut mettre en sens, et peut ainsi l’aider à tenir le coup. Mais ce travail de verbalisation et a fortiori de mentalisation, il ne peut le faire seul. Il lui faut pour ce faire des espaces temps cadrés avec un psychologue.
Une théorie suffisamment partagée
Le travail psychique ne sera par ailleurs opérant que si la structure de soins adopte des théories suffisamment partagées sur des thèmes tels que la représentation du fonctionnement psychique, l’existence de l’inconscient, le fonctionnement des groupes. Et, bien entendu, celle de SEARLES évoquée ci-dessus concernant les phénomènes d’attaque à la pensée.
Ainsi, le soignant pourra-til faire des hypothèses sur ce qui se passe, hypothèses premières puis hypothèses alternatives, l’important n’étant pas ce que l’on vaou non faire, mais ce que l’on pense d’une situation.
Ce que l’on en pense modifie notre regard et donc modifie la situation parce que l’on ne se sera pas conduit de la même façon. À partir de là, des actions apparemment différentes vont véhiculer un sens nouveau, peut-être identique, Parce que les uns et les autres auront élaboré une représentation commune de la situation. Chacun fera certes à sa façon, mais avec une ligne directrice forgée ensemble.
Le concept d’attaque à la pensée, à condition de ne pas regarder le malade comme un adversaire mais comme une personne démunie qui se défend avec ce qu’elle peut, permet, quand il est partagé dans une équipe, d’élaborer des hypothèses et de se soutenir mutuellement le moral.
Protéger la capacité à penser
Organiser les institutions pour soigner et non rejeter
Les institutions gériatriques hébergent 75 % de personnes cognitivement déficitaires. Force est donc d’admettre qu’elles devraient, dès maintenant, être essentiellement organisées pour les accueillir prioritairement. Or, elles continuent d’être organisées pour une minorité supposée plus gratifiante.
Ce faisant, les malades Alzheimer lorsqu’ils vont trop mal sont soit rejetés, soit enfermés dans une unité type CANTOU. Pour être logique le « CANTOU » devrait être l’espace commun de l’établissement, avec un soignant qui s’y relaie avec ses collègues pour s’occuper du groupe, ce qui en réduisant l’angoisse collective (et donc en limitant les troubles du comportement) protége ceux qui font du soin individuel.
Une approche basée sur l’affectif opérant plutôt que sur le cognitif défaillant
Aucun plan Alzheimer n’a jusqu’ici valorisé le rôle des psychologues cliniciens ni celui de la recherche sur les phénomènes intersubjectifs et affectifs (la communication implicite). Or, les malades Alzheimer ne sont que dans l’affectivité ! On va chercher chez eux ce qui est défaillant, le cognitif, et non pas sur ce qui est encore opérant, l’affectif, ce qui nous permettrait une approche plus authentique.
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