mardi 14 février 2012

Les soins d'escarre (1/3)

Les soins d'escarre


SOMMAIRE
Les soins d'escarre
La prise en charge générale
Dr Géraldine Perceau, Isabelle Fromantin
L'escarre est une des plaies chroniques les plus fréquemment traitées en ville, après l'ulcère veineux. Elle touche les populations les plus vulnérables (âgées, handicapées, en perte d'autonomie) et rend de ce fait l'évolution vers la cicatrisation difficile car ces malades présentent le plus souvent des facteurs de retard de cicatrisation multiples.
L'idéal est donc de prévenir l'apparition des escarres. Des échelles d'évaluation (ex. : Braden, Norton) peuvent aider à évaluer si le patient doit être considéré « à risque », mais ne remplace pas pour autant le jugement clinique du soignant.
Les mesures de prévention sont efficaces lorsqu'elles sont menées dans un même temps, coordonnées entre les différents intervenants qui « gravitent » autour du patient (infirmière, auxiliaire de vie, médecin),
et lorsqu'elles sont répétées.
Elles consistent essentiellement à réduire les zones d'hyperpression par l'installation de supports (matelas, coussins) associés à des changements de positions, à tenter de corriger les autres facteurs de risque tels que la dénutrition, et à préserver une hygiène cutanée optimum (propreté, hydratation).
Le choix du support doit tenir compte de l'importance du risque (faible, modéré, élevé), mais aussi du patient (ex. : taille, souhait), de son habitat (ex. : lit double), et de ses ressources. Il faut en effet être vigilant à ne pas prévenir un risque au détriment d'un autre (ex. : chutes), ou à ne pas changer trop brutalement des habitudes de vie (matériel et affective). Ce choix est subtil et ne se résume pas à un simple rapport pression/réduction. Il doit faire l'objet d'un interrogatoire préalable avec le patient (+/- son entourage).
Les stades, l'évaluation clinique, les pièges diagnostiques, et la prise en charge spécifique
Les mécanismes de l'escarre sont complexes, associant une pression prolongée sur les tissus situés entre un plan dur et une saillie osseuse, mais aussi des forces de cisaillement (qui étirent les tissus notamment les vaisseaux) et de frottement, ainsi que la macération (pour certaines localisations). Suivant le contexte, ces facteurs s'additionnent pour conduire à une lésion tissulaire appelée escarre.
La classification actuelle des escarres comprend 4 stades (NPUAP, EPUAP 2009)(2). Cette classification permet la mise en oeuvre d'actions adaptées et le suivi des escarres. La classification permet aussi, dans un autre contexte que le soin, des études épidémiologiques. Pour tous les stades, la mise en décharge est indispensable.
Une escarre peut évoluer vers un stade supérieur, en revanche une escarre ne peut régresser vers un stade inférieur.
Elle cicatrise mais reste nommée par son stade initial le plus grave. Les localisations les plus fréquentes sont le sacrum, les talons et les ischions.
o Le stade 1 correspond à un érythème (en regard d'une saillie osseuse) qui ne blanchit pas à l'appui (avec le doigt ou avec un verre de montre - figure 1). A ce stade, la mise en décharge peut permettre une régression de la lésion. L'érythème qui disparait à la pression peut correspondre à un stade précédent l'escarre, appelé stade 0 dans certaines classifications. Les diagnostics différentiels de l'escarre de stade 1 sont nombreux et variables selon la localisation.

: escarre stade 1.
Le problème se pose surtout au niveau du périnée : une escarre de stade 1 (sacrum, ischion...) peut être confondue ou associée à :
- une mycose (pustules, et desquamation associées, contexte de diabète, antibiothérapie - figure 2),

: mycose du périné.
- une macération liée à des exsudats importants ou une incontinence urinaire (érosions et blanchiment de la peau associés - figure 3),

: macération et érosions en périphérie d'escarres.
- une dermite caustique (érythème très vif et érosions) liée à un antiseptique, un adhésif ou des selles acides,
- une allergie de contact à un topique ou un pansement (vésicules, desquamation, et extension à distance possible).
La réalisation d'un prélèvement mycologique, la gestion des exsudats et de l'incontinence, l'utilisation de protecteurs cutanés et de produits doux et neutres contribue à l'amélioration de ces altérations cutanées.
Enfin, une infection cutanée (un érysipèle ou une dermo-hypodermite bactérienne (encore appelée cellulite - ) ou une lymphangite) peut aussi commencer par une rougeur, soit isolée sur une saillie osseuse, soit en périphérie d'une escarre (et ne doit alors pas être confondue avec une aggravation de l'escarre préexistante). Dans ce cas, il faut entourer la rougeur, surveiller la température et la CRP, et mettre en décharge.

rougeur extensive et fièvre autour d'une escarre de stade 4 : dermohypodermite bactérienne.
o Le stade 2 correspond à une phlyctène claire ou hématique (stade 2b), c'est-à-dire une atteinte dermo-épidermique. Lorsque le toit de la phlyctène est rompu, ces lésions se présentent souvent sous la forme d'une érosion ou d'une ulcération superficielle sur une saillie osseuse. En pratique, le diagnostic est facile, mais au stade de phlyctène ou d'érosions, suivant le contexte clinique, le nombre et la localisation des lésions, certaines dermatoses bulleuses peuvent être évoquées (pemphigoïde bulleuse, bulles liées aux oedèmes, dishydrose bulleuse, impétigo bulleux, bullose des diabétiques, porphyrie et pseudoporphyrie des hémodialysés...).

Au stade 2, le traitement est médical.
o Le stade 3 correspond à une nécrose de la peau allant du derme profond à l'hypoderme, sans atteinte des fascias, muscles, tendons ou os. A ce stade, si l'escarre n'est pas détergée, il est parfois impossible de trancher entre un stade 3 et un stade 4. Les lésions peuvent avoir plusieurs aspects suivant la phase de la plaie. Initialement, elle se présente comme une nécrose noire sèche son ramollissement va la faire évoluer vers une plaie fibrino-nécrotique, puis fibrineuse pour tendre vers une plaie bourgeonnante

Avec la détersion, la plaie se creuse et donne un sentiment d'aggravation.
Souvent, cette escarre apparait sous la forme d'une cavité dont l'orifice de sortie est plus étroit que la lésion sous jacente, ce d'autant que des décollements sont possibles, en particulier au niveau du périnée (figure 9). Au stade 3, la détersion est souvent médicale, mais une détersion chirurgicale peut se discuter dans les formes profondes, en particulier chez les blessés médullaires ou en cas d'abcèdation. Une fois la détersion effectuée, un traitement par pression négative se discute en cas de lésion profonde. La chirurgie de couverture ou de fermeture est réservée, notamment, aux blessés médullaires lors de lésions profondes. La détersion est contre indiquée au membre inférieur (au membre supérieur aussi) en cas d'ischémie artérielle (artériopathie obliterante).
o Le stade 4 correspond à une atteinte des fascias, muscles, tendons, ou os (figure 10). Il est authentifié au cours de la détersion, car au stade de nécrose sèche (sauf si elle est très étendue), il est difficile de l'affirmer.

Ce stade est particulièrement délicat car il expose à des complications infectieuses graves.
La détersion est l'élément crucial et peut se faire médicalement ou chirurgicalement. Une prise en charge chirurgicale peut être indiquée en urgence pour une infection (abcès, fièvre, suppuration, aggravation..), sauf en fin de vie, et doit permettre des prélèvements bactériologiques profonds (tissus, tendons, os...).
En dehors de l'urgence, la prise en charge chirurgicale et son type (parage, prélèvements, suture, lambeau avec ou sans TPN...) sont discutés, si possible en consultation multidisciplinaire, sur la base d'éléments psychosociaux, médicaux (comorbidité, contexte), biologiques (état nutritionnel en particulier), et radiologiques orientés (radiographie standard, scanner, IRM, scintigraphie).
La prise en charge chirurgicale est souvent non retenue chez le patient âgé.
Cette prise en charge chirurgicale est souvent indispensable, notamment pour les blessés médullaires et les spina bifida, et est souvent limitée (parage et biopsie osseuse, antibiothérapie, + /- TPN) voire non retenue (car inutile, inadaptée, ou dangereuse) chez les personnes âgées. Elle se discute enfin dans d'autres cas intermédiaires (la décision pouvant évoluer avec le contexte clinique).
Les diagnostics différentiels des escarres de stades 3 et 4 sont variables suivant que l'on est devant une plaie nécrotique, fibrineuse ou bourgeonnante. Le réel problème est le stade de nécrose, et même si les lésions surviennent sur des zones de pression, il ne faut pas méconnaître la lésion infectieuse potentiellement grave qu'est la fasciite nécrosante (qui peut survenir presque partout où il y a des fascias musculaires), ou la gangrène de fournier au périnée. D'autres diagnostics, moins rares, comme les hématomes sous anticoagulant, les lésions ischémiques des membres inférieurs (souvent combinées aux lésions de type escarre - figure 11), l'angiodermite nécrotique à la jambe souvent post traumatique, la calciphylaxie dans un contexte d'hémodialyse (nécrose des membres ou zones de pannicule adipeux), les nécroses rares (CIVD, Purpura fulminans, nécroses aux AVK, déficit en protéine C ou S.....) peuvent être trompeurs, mais le contexte et l'histoire clinique permettent le plus souvent de faire le diagnostic.

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