mercredi 27 février 2013


Agitation en Unité Alzheimer : la continuité de vie en "fondu enchainé " par Philippe Crône

Une autre réponse : la continuité de vie en "fondu enchainé "


Philippe CrôneQuelle difficulté pour les services qui accueillent des malades de types Alzheimer à les occuper toute la journée, à réguler l’ennui, la déambulation, l’angoisse, et les « fugues » !
Comment gérer ces situations perturbantes tout en accompagnant les autres résidents ?
Réflexions et proposition de Philippe Crône, IGM Animation (Institut Gineste-Marescotti)

A la Maison d’Accueil de Jour Noël Fontaine de l’EHPAD de Beaumont (82), Mme N, ancienne cantinière, souffrant de démence de type Alzheimer que nous préférons nommer Syndrome Cognitivo-Mnésique (SCM)  angoissait le soir au moment du départ de Mr B. Elle tournait en rond, s’inquiétait de savoir si sa fille l’avait oublié, etc. Alors que l’ensemble de la journée se passait assez bien, l’approche du départ devenait problématique. On finissait par poser la question de la pertinence de sa venue en Accueil de jour.

Dans cette même unité de jour, nous accueillions également une personne en SCM très angoissée dès le milieu de la matinée. Elle s’agitait, demandait sa fille, se levait, restait assise trois minutes et recommençait à déambuler, au risque de contaminer son angoisse à tout le monde.
Le personnel formé aux techniques de diversion et de pacification parvenait à apaiser la personne vers midi. Cette gestion, en situation de comportement d’agitation demande beaucoup de disponibilité  et de professionnalisme de la part du personnel qui doit parallèlement s’occuper des autres personnes accueillies. Mais le plus surprenant était que lorsque sa fille venait la chercher, elle ne  voulait plus  partir ! S’ensuivait un mal être de la malade, une culpabilité de la fille qui se sentait rejetée, et peut être une forme de satisfaction des professionnels qui voyaient dans cette réaction d’attachement la reconnaissance de « leur bon travail »…..
L'équipe ressentait bien toute la perversité de la situation. En  accueil de jour, la finalité est que la personne vive bien, non pas seulement dans la structure oui MAIS … chez elle !
La pertinence de l’accueil de jour se posait.

Deux solutions s'envisagaient : remettre en cause la proposition de l'"accueil de jour » pour cette personne, tenter de comprendre ce qui, dans le fonctionnement, l’organisation, ou la conception des journées de ce service, pourrait éviter ces montées d’angoisse.
Nous avons voulu comprendre.

Les connaissances sur la maladie d’Alzheimer ou troubles apparentés  nous amènent à considérer les altérations qu’engendrent  ces types de pathologies. Il n’est pas question de disparitions de capacité mais d’altérations possibles.
Pour la personne qui nous intéresse, nous nous attarderons sur quelques altérations primordiales, celles des capacités à analyser, à se projeter, à s’organiser,  à mesurer le temps etc.
L’altération de la capacité d’analyse correspond à l’atteinte neuronale au niveau de l’hippocampe, zone très impliquée dans le traitement et l’enregistrement des informations. Gardien de nos souvenirs, l’hippocampe analyse chaque nouvelle information en allant chercher dans « notre grenier à souvenirs » les données qui nous permettent de savoir si cette nouvelle information est déjà connue ou non.
L’hippocampe fait le lien entre la nouvelle information et les anciennes déjà en stock. Les zones frontales et préfrontales sont sur le chemin de l’évolution de la maladie. Elles hébergent,  entre autres, les espaces dédiés à la programmation, à l’organisation, à la planification etc.
L’altération de cette zone rend difficile la projection vers le futur et altère la capacité à faire des projets. Vers cette même zone frontale est installée une partie des espaces dédiés à la gestion du temps.

Bien d’autres altérations perturbent les personnes souffrant de SCM mais celles ci suffisent pour comprendre les erreurs d’organisation du service pourtant spécifique à ce type de pathologie.
Dans le cas de SCM, les difficultés voir l’impossibilité d’imaginer l’avenir proscrit toute forme de projet construit. Et s’il y a projet, comme «je veux  rentrer à la maison voir maman », c’est souvent le signe d’une volonté de fuir un présent problématique (la maison et maman représentant la sécurité et la rassurance) plutôt qu’une véritable construction de se voir vivre chez soi.
Cette absence ou altération de la capacité à imaginer son avenir va provoquer des montés d’angoisse chaque fois que la personne sera face à une absence de proposition ou de choix.

L’absence de proposition
Je la traduis de la façon suivante : quand une activité est terminée, si rien n’est proposé à la suite.
Un exemple : lorsque le repas est terminé, le personnel remonte les résidents dans leur chambre ou fait la vaisselle ou le ménage des salles à manger… le résident en SCM reste seul à devoir construire son devenir sans en être capable. Que dois-je faire ? Où dois-je aller ?

Qu’on ne se trompe pas, ce n’est pas la fin de l’activité qui angoisse, mais l’incapacité à imaginer, à construire la suite comme s’il se trouvait devant un précipice, au bord d’une falaise.
Chaque rupture du rythme de vie, chaque changement d’ambiance va ouvrir un abime devant le malade. Ce vide dans le continuum de vie va le bouleverser et faire surgir les angoisses.

Une des réponses va être d’éviter ces ruptures et d’organiser la vie du service comme une suite de tranches de vie qui se superposent sans heurt émotionnel… ce que j’ai baptisé : « La continuité de vie en fondu enchaîné »
Faire que chaque temps vécu ne soit pas terminé mais soit superposé à un autre temps, une autre activité.
Reprenons l'exemple du repas : ne plus parler de fin de repas, mais de début de la sieste.

Le principe est de ne pas laisser à la personne souffrant de SCM la question de son avenir immédiat qui, au regard de ces altérations, va déboucher sur une réponse impossible à trouver seul et générer une bouffée d’angoisse.
L’illustration est flagrante dans les accueils de jour au moment des premiers départs.
La première personne qui part chez elle marque la fin de la journée, et c’est souvent à ce moment que l’angoisse monte chez les autres. On entend des plaintes comme : « et moi ? Il faut que je rentre ?  « Est-ce que quelqu’un va venir me chercher ? » etc.

L’espace laissé aux questionnements est un espace laissé à l’inquiétude de ne pas pouvoir répondre. Si on prend exemple sur la continuité de vie en fondu enchaîné, il va falloir imaginer ce qui pourrait être superposé au  premier départ. Par exemple le faire coïncider au démarrage d’une activité comme le gouter.

Rappelons nous du problème de Mme N qui angoissait dès les premiers départs et notamment celui de Mr B. nous avons prévu d’avancer l’heure du gouter de façon à faire coïncider le départ de Mr B avec le besoin de débarrasser la table du gouter.
Au bout de quelques jours, au moment du départ de Mr B, Mme N nous disait : « je sens qu’on va avoir besoin de moi pour débarrasser… » La fin de cette tranche de vie s’était transformée en début d’une autre.
De même que pour cette dame qui demandait sa fille puis ne voulait plus partir, on s’est aperçu qu’on accueillait la fille avec une forme de soulagement pour la personne malade… et certainement aussi pour nous : «  ça y est ! Votre fille est là ! ». Loin de rassurer, cette brusque rupture de vie angoissait la personne qui se bloquait en adoptant une attitude de refus. Elle ne disait pas « non » à sa fille, mais « non » au changement brutal de rythme.

Pour éviter ces ruptures, nous accueillons les familles qui viennent chercher leur parent le plus discrètement possible en les invitant à partager un court instant avec nous. Boire un café, partager les réalisations du jour, etc. L’objectif est de les inviter à partager avec nous un moment, a s’inscrire dans le rythme. Lorsqu’elles sont au diapason de l’ambiance émotionnelle nous pouvons alors proposer le retour à la maison. Il n’y a pas de rupture émotionnelle car famille et parent emportent l’ambiance avec eux.

Penser l’organisation des lieux d’accueil pour les personnes désorientées avec la notion de continuité de vie en fondu enchaîné dépend de beaucoup de paramètres : du lieu, du moment, des activités et surtout de chaque individualité. Mais le résultat est extraordinaire. Avec le temps, lors d’une montée d’angoisse, les questions des équipes fusent : où est la rupture de vie ? Que proposer en fondu enchaîné?  Et deviennent automatiques.

En EHPAD, créer un lien cohérent entre les instants de vie des résidents, c’est donner du sens au travail interdisciplinaire. La continuité de vie en fondu enchaîné ne peut exister que dans un passage de relais, fluide,  entre chaque acteur,  professionnel,  soignants et acteur proche, la famille.

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